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Les marchés financiers ne se contenteront pas d’une réponse négative
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février 02, 2024
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Comme un enfant gâté déterminé à obtenir ce qu’il veut peu importe le nombre de fois où ses parents lui disent non, les marchés financiers continuent de se redresser dans l’attente d’une baisse imminente des taux, et ce malgré le fait que l’oncle Jérôme et d’autres responsables du Federal Open Market Committee (FOMC) aient indiqué qu’ils n’étaient pas encore prêts à y consentir. L’espoir réside dans le fait qu’en retenant leur souffle collectif suffisamment longtemps, les adultes responsables de la politique monétaire se plieront à leurs désirs. Cette tactique a sans doute déjà fonctionné par le passé, notamment lors du fameux “Taper Tantrum” de 2013, qui a retardé et atténué le retrait par la Fed des mesures de relance sans précédent (à l’époque) de l’assouplissement quantitatif, et lors de la liquidation brutale (et sans nom) des marchés fin 2018 en réponse au resserrement de la politique de la Fed.1 Dans ce dernier cas, les marchés se sont entièrement redressés au cours des premiers mois de 2019, lorsque la Fed a renoncé à un nouveau resserrement et a commencé à réduire le taux des fonds à la mi-2019. Dans les deux cas, des ventes massives ont exprimé le mécontentement des marchés à l’égard des mesures prises par la Fed et ont probablement influencé, dans une certaine mesure, les décisions ultérieures de la Fed. Cette fois, c’est l’inverse : les marchés se sont fortement redressés depuis septembre dans l’attente que la Fed ouvre le robinet après près de deux ans de traversée du désert. En fait, ils défient la Fed de ne pas les décevoir.
Certes, il peut sembler étrange d’attribuer des motifs aussi délibérés à un acteur inanimé comme “les marchés”, mais il y a eu plusieurs cas, au cours de la dernière décennie, où il a semblé que l’arroseur devenait l’arrosé en ce qui concerne les marchés financiers et la politique de la Fed. Malgré sa réputation (voire son mandat) d’institution indépendante et apolitique chargée de mettre en œuvre la politique monétaire, l’idée que les réactions des marchés financiers n’ont aucune influence sur les décisions politiques de la Fed est devenue un argument plus difficile à défendre depuis 2009. Et les marchés financiers savent très bien ce qu’ils veulent : une perpétuelle euphorie.
La reprise des marchés financiers américains depuis septembre reflète la conviction croissante que les hausses de taux de la Fed sont terminées, que l’inflation a été maîtrisée, qu’une récession nationale a été évitée, et que l’assouplissement monétaire est imminent. Cela est logique, car les pires prévisions économiques pour 2023 ne se sont jamais concrétisées et l’inflation s’est modérée. Toutefois, compte tenu des divers commentaires des responsables du FOMC selon lesquels il n’y a pas d’urgence à réduire les taux,2 que l’inflation reste élevée malgré le ralentissement et qu’il faudrait davantage de preuves avant que la Fed ne conclue que son objectif de 2% est réalisable, les attentes des3 investisseurs en matière de taux - suggérées par la courbe des contrats à terme des Fed Funds pour six réductions de taux en 2024 à partir de mars et un taux des Fed Funds de 3,75% d’ici la fin de l’année - semblent peu réalistes. Il en va de même pour l’idée de plus en plus répandue selon laquelle la Fed mettra un terme à sa liquidation mensuelle de 95 milliards de dollars de titres, ou la réduira fortement, d’ici le milieu de l’année ou plus tôt.
En outre, la capacité impressionnante de l’économie américaine à supporter les hausses de taux cumulées à ce jour sans effets négatifs excessifs sur le marché du travail, les dépenses de consommation ou les bénéfices des entreprises suggère que le régime actuel des taux d’intérêt est tolérable, même s’il est loin d’être idéal pour les entreprises et les consommateurs. Cela devrait éliminer toute pression pour que la Fed fasse marche arrière prématurément, les conséquences d’une résurgence de l’inflation en cas de changement de cap trop rapide dépassant de loin les risques pour l’économie d’une réduction trop lente. En effet, on pourrait considérer que la hausse des marchés provoquée par la simple perspective d’un assouplissement monétaire est une raison suffisante pour que la Fed procède lentement, sous peine de raviver les excès spéculatifs que nous avons connus en 2021.
Pourquoi les marchés financiers croient-ils si fermement qu’un assouplissement quantitatif agressif (AQ) est à portée de main ? En un mot : le conditionnement. Ces derniers mois, nous avons de plus en plus constaté que toute une génération de financiers, de gestionnaires de fonds et d’investisseurs professionnels, dont certains occupent aujourd’hui des postes de direction, a passé l’ensemble de leurs vies professionnelles dans un environnement de marché stimulé par d’importantes mesures de relance monétaire et des taux d’intérêt très maîtrisés. L’assouplissement quantitatif massif et ses effets persistants sur les marchés et le système financier semblent parfaitement normaux, car c’est tout ce qu’ils ont connu. L’idée que l’environnement actuel des taux d’intérêt n’est pas aberrant et qu’il est bien plus proche de la normale par rapport aux données historiques d’avant 2008 peut leur sembler hors de propos. (Le taux de base LIBOR pour la plupart des prêts était en moyenne de 4,75% entre 2005 et 2007, tandis que les bons du Trésor à 10 ans étaient en moyenne de 4,55% et les rendements des obligations d’entreprises BB de 7,2% au cours de cette période de trois ans). Les investisseurs en sont venus à s’attendre à ce que les actions politiques de la Fed soient favorables au marché, même si elles créent une liquidité excessive et une abondance d’aléa moral. Cet état d’esprit réapparaît maintenant que cet épisode gênant d’inflation semble en grande partie derrière nous.
Le S&P 500 a grimpé de 24% en 2023, dont environ la moitié au cours du dernier trimestre, alors que les taux d’intérêt du Trésor à 10 ans ont baissé de près de 100 points de base au quatrième trimestre 23 et que le nombre d’émissions de titres de créance d’entreprises en difficulté a chuté de 30% (Figure 1). Et ce, alors que les prévisions de croissance économique nationale pour 2024 restent tièdes, que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année sans aucun signe de résolution, et que le conflit à Gaza montre des signes d’élargissement régional et a maintenant un impact sur le transport maritime mondial dans la mer Rouge. Quoi qu’il en soit, cette reprise du marché s’est prolongée jusqu’à la fin de l’année. C’est ce que l’on appelle un optimisme persistant.
Figure 1 - S&P 500 par rapport au rendement des obligations du Trésor à 10 ans et nombre d’émetteurs de dette en difficulté
Enquête de FTI Consulting sur le marché des prêts à effet de levier
Un groupe qui ne partage pas cet optimisme débridé est la communauté des prêteurs à effet de levier. Nous le savons parce que nous venons de terminer notre sixième enquête annuelle sur le marché des prêts à effet de levier4 qui contient près de 250 réponses de professionnels de haut niveau dans le domaine des prêts à effet de levier et des fonctions de restructuration au sein de grandes institutions de crédit (banques et autres prêteurs). Leurs réponses témoignent d’un optimisme prudent, selon lequel l’année à venir sera marquée par une amélioration modeste à modérée par rapport à 2023 dans la plupart des domaines, mais qui n’approche en rien l’enthousiasme qui se manifeste actuellement sur les marchés financiers. Voici quelques-unes de leurs réponses les plus remarquables :
- Le risque de récession s’atténue, mais reste élevé: Environ 42% des personnes interrogées ont déclaré que la probabilité d’une récession aux États-Unis en 2024 était importante (34%) ou probable (8%), ce qui représente une amélioration notable par rapport à l’enquête de l’année précédente, au cours de laquelle plus de deux tiers des personnes interrogées avaient déclaré que la probabilité d’une récession dans les 12 mois était importante ou probable. Néanmoins, le pourcentage de personnes interrogées déclarant que le risque de récession cette année est supérieur à négligeable ou mineur reste élevé dans un contexte économique relativement favorable.
- L’inflation s’est ralentie, mais restera supérieure à l’objectif de 2% de la Fed: Les deux tiers des personnes interrogées ont déclaré que l’inflation restera supérieure à 3% d’ici la fin de l’année, la plupart (61%) se situant dans la fourchette de 3% à 5%. Seuls 25% des répondants estiment que l’inflation sera inférieure à 3% d’ici la fin de l’année.
- Les marchés financiers sous-estiment le risque posé par les taux d’intérêt élevés: Une majorité de répondants (46%) affirment que la persistance de taux d’intérêt élevés en 2024 est le risque le plus sous-estimé par les marchés financiers — bien plus que tout autre facteur de risque, y compris les événements géopolitiques et l’inflation.
- Les prêteurs à effet de levier restent prudents: Seuls 21% des répondants s’attendent à ce que les conditions du marché du crédit à effet de levier se détendent ou s’assouplissent en 2024, tandis que 12% seulement s’attendent à un assouplissement des normes de souscription des prêts. La majorité des intervenants s’attend à ce que les conditions du marché des prêts à effet de levier et les normes de souscription restent cette année très proches de ce qu’elles étaient à la fin de 2023.
- L’activité de défaut de paiement et de restructuration des prêts restera intense: Plus des deux tiers des personnes interrogées ont déclaré que les nouvelles activités de défaut de paiement et de restructuration en 2024 seront légèrement plus élevées (47%) ou nettement plus élevées (24%) que l’année dernière qui a pourtant été marquée par une augmentation significative des défauts de paiement et des restructurations de prêts.
- Pas de grand rebond pour l’activité F & A à effet de levier: 42% des personnes interrogées ont déclaré que l’environnement macroéconomique difficile maintiendra l’activité F & A à effet de levier déprimée pendant une année supplémentaire alors que 38% s’attendent à une légère amélioration de cette activité par rapport à 2023. Les prêteurs non bancaires sont plus enclins que les prêteurs bancaires à s’attendre à une augmentation de l’activité F & A à effet de levier cette année.
- Les rendements des prêts à effet de levier ne changeront pas beaucoup cette année: 47% des personnes interrogées ont déclaré que les rendements globaux des prêts à effet de levier sur le marché primaire se contracteront légèrement en 2024, tandis que 45% ont déclaré que ces rendements s’élargiront légèrement. Seulement 8% s’attendent à une contraction ou à un élargissement importants des rendements. Les prêteurs non bancaires étaient plus enclins que les prêteurs bancaires à s’attendre à une contraction des rendements cette année.
- Les taux de recouvrement des dettes garanties de premier rang en souffrance resteront inférieurs aux normes historiques : Environ 58% des personnes interrogées ont déclaré que les taux de recouvrement des créances garanties de premier rang en souffrance resteront inférieurs aux moyennes historiques dans un avenir prévisible en raison de l’effet de levier élevé des transactions et du recours massif aux créances garanties de premier rang ces dernières années. Près de 23% des répondants ont déclaré qu’il était prématuré de supposer que la tendance à la baisse des taux de recouvrement se poursuivra et 19% ont déclaré que les taux de recouvrement reviendront vers les normes historiques à mesure que l’économie s’améliorera.
Dans l’ensemble, les réponses des prêteurs à notre enquête ne correspondent pas aux attentes optimistes des marchés financiers. Il est possible que certaines personnes interrogées aient hésité à exprimer ouvertement leur optimisme pour l’année à venir suite à une année particulièrement difficile et mouvementée sur les marchés du crédit à effet de levier. Mais il est beaucoup plus probable que les faits sur le terrain ne soutiennent pas l’optimisme débordant des marchés financiers. À moins que la Fed ne s’écarte bientôt de son propre scénario et ne recommence à nourrir la bête. Nous sommes enclins à les croire sur parole.
L’activité de restructuration s’est ralentie depuis novembre et démarre lentement en 2024 puisque l’augmentation des émissions de crédit à effet de levier au cours des derniers mois a offert une bouée de sauvetage à certains émetteurs. Toutefois, notre enquête auprès des prêteurs à effet de levier nous apprend qu’ils sont plutôt circonspects quant aux perspectives pour l’année à venir. En fait, l’ensemble de cette conversation se résume à ceci : Qui allez-vous croire ?
Footnotes:
1: Jamie McGeever, « Taper Tantrum Ripples, 10 Years On », Reuters (22 mai 2023).
2: « Fed’s Waller Advocates Moving “Carefully” With Rate Cuts, » CNBC (16 janvier 2024).
3: « Minutes of the Federal Open Market Committee », Board of Governors of the Federal Reserve System (12-13 décembre 2023).
4: Un résumé de l’enquête sur les prêts à effet de levier 2024 peut être consulté ici.
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Date
février 02, 2024
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Global Co-Leader of Corporate Finance & Restructuring